lundi 24 juillet 2017

La langue affranchie me met en colère,



Je viens de terminer la lecture de La Langue affranchie, par Anne-Marie Beaudoin-Bégin, et je dirai, en un mot, que ce livre est une caricature.

L'auteure, linguiste, s'élève contre la soi-disant réglementation du français par des autorités langagières, soit les auteurs de dictionnaires et de manuels scolaires, et l'Office de la langue français, via sa Banque de terminologie, qui s'arrogeraient le droit de déterminer ce qui est du bon français et ce qui ne l'est pas, ce qui aurait donné au francophone québécois moyen un complexe face à la manière dont il parle, complexe qui l'amènerait même, pour certains d'entre eux — d'entre nous — à adopter l'anglais, langue réputée plus souple. Même si je soutiens, comme Mme Beaudoin-Bégin, que le français québécois est une variante linguistique — voire même plusieurs variantes linguistiques, puisqu'elle possède plusieurs niveaux, comme on disait autrefois — qui mérite d'être reconnue et défendue, je trouve que la manière dont elle s'y prend pour la défendre est une caricature. En fait, l'auteure caricature son adversaire pour mieux le démolir. C'est ce qu'on appelle le sophisme de l'homme de paille.

Selon sa description, le puriste — appelons-le ainsi — refuse le français québécois parce qu'il croit en l'autorité du Dictionnaire tout-puissant. Mais seulement quand ça l'arrange. Par exemple, le puriste lèverait le nez sur bon matin mais utiliserait week-end (p. 25). Il serait incapable de reconnaitre que, si le français emprunte de nos jours en masse à l'anglais, il a, en d'autres temps, emprunté à l'italien, provoquant l'ire des puristes de l'époque, alors que, de nos jours, plus personne ne ressent des mots comme banque, soldat ou balcon comme des emprunts (chapitre 5). Enfin, il serait incapable d'apprécier l'usage de l'anglais dans le discours quotidien. Donnant un exemple tiré d'un roman, écrit dans une langue farcie de mots anglais que je n'ai jamais rencontrée dans la vraie vie, même si j'ai deux enfants dans la vingtaine, elle conclut en écrivant: «On remarquera, évidemment, que ce texte est (magnifiquement) écrit au registre familier, et que l'utilisation des expressions anglaises lui donne une saveur particulière. Plusieurs jugeront probablement ce texte négativement. Ils en auront bien le droit évidemment,  mais ce faisant, ils ne percevront pas le procédé stylistique.» (p. 82)
Autrement dit, si vous n'êtes pas d'accord avec moi et avec les anglicismes, c'est que vous êtes incompétent ou bouché.

Mon opinion

Personnellement, je ne crois pas du tout que le français québécois soit jugé négativement. On dirait que Mme Beaudoin-Bégin a trop écouté la télévision de Radio-Canada des années 60, si cela était possible. Au contraire, on laisse tant les animateurs de radio que les élèves du primaire parler un peu comme ils le veulent, et l'on s'étonne ensuite que, comme ceux qui ont appris l'anglais dans la rue et à la télé, ils soient incapables de pondre un texte dans un registre autre que très familier (p. 96). Mais où auraient-ils pu apprendre le registre soutenu? Leur situation est sans doute similaire à celles des Suisses alémaniques, qui apprennent à écrire en allemand standard mais qui parlent un dialecte etrès différent.

D'ailleurs, on peut comprendre qu'au XIXe siècles, les lettrés du Québec aient voulu raccommoder le parler d'ici avec celui de la France. Vouloir encourager la différence aurait sans doute créé moins de complexes chez le peuple, mais aurait été politiquement catastrophique. Les Québécois auraient été dans la situation des Afrikaners d'Afrique du Sud, dont la langue ancestrale était le néerlandais, mais qui en ont tellement divergé qu'ils parlent maintenant une langue à part, l'afrikaans, et qu'ils ne comprennent plus, pour la plupart, le néerlandais. Imaginez-vous quel poids politique , quel prestige, aurait face à l'anglais une langue — appelons-la le canayen — parlée uniquement ici? Ç'aurait été notre fin.

Je crois aussi que Mme Beaudoin-Bégin a beaucoup trop confiance en la loi qu'elle appelle improprement 101. Selon elle, le sort du français au Québec est garanti à jamais, pourrait-on croire. Mais une loi, ça se change, et pas nécessairement dans le sens de la rendre plus mordante, comme elle semble le souhaiter à quelques reprises. Si assez de Québécois veulent envoyer leurs enfants à l'école anglaise et se débarrasser du français, ce souhait se concrétisera bientôt dans une loi. Mais il est interdit de dire cela sur sa page Facebook, par exemple. Tous ceux qui avancent cette opinion se font rapidement bloquer...

Et le français écrit?

Évidemment, le puriste tel que vu par Anne-Marie Beaudoin-Bégin est convaincu que le Québécois moyen non seulement parle mal, mais surtout qu'il ne sait pas écrire. Et il est épouvanté de le voir étendre son ignorance sur les réseaux sociaux. Le monde était bien mieux, selon lui, quand seuls les finissants du cours classique avaient le droit de manier la plume. À en croire notre linguiste, ce qui agacerait les puristes de l'écrit, ce sont des choses comme la réduction de tu es en t'es, les négations sans ne ou l'usage du subjonctif après après que (qui ne devrait pas être condamné uniquement à l'écrit, d'ailleurs, après qu'on y a réfléchi). Elle délire carrément. On peut lire tous les jours des statuts Facebook qu'on a peine à comprendre, même quand on les lit tout haut. Bizarrement, pour une linguiste qui désire le retour de l'enseignement du latin à l'école, de manière à mieux enseigner les mécanismes de la langue, l'absence d'accord (les gens vienne) ou la célèbre confusion ez/é/er ne devraient pas inquiéter. Avant de réintroduire le latin, on pourrait au moins faire de l'analyse de phrase, et ça urge!


Finalement

Quand j'entends des jeunes Québécois passer à l'anglais, non plus seulement avec des immigrants (ce qui est déjà désolant, soit dit en passant), mais entre eux; quand je les entends faire de l'alternance de code clairement non par choix, mais par méconnaissance des termes français; quand les jeunes écoutent leur musique, regardent leurs films et leurs séries Netflix en anglais, quand même les statuts Facebook de médias écrits, comme le Huffington Post Québec, contiennent presque à tout coup de grossières erreurs d'orthographe ou de syntaxe (et je parle pas d'écrire alternatives au lieu d'options), je crois qu'on peut s'inquiéter. Quand on accepte béatement les emprunts de l'anglais au lieu de créer, comme les anglophones (sans oublier le fantastique travail lexicologique des Islandais), des nouveaux mots pour les nouvelles réalités, à partir du français — car, oui, n'en déplaise à Mme Beaudoin-Bégin, on a le droit de créer des mots en français — on contribue à faire du français québécois une langue folklorique, qu'on ne parlera bientôt plus que parce qu'on y est obligé ou avec ses grands-parents. Étrangement, j'ai peur que la voie affranchie préconisée par Mme Beaudoin-Bégin nuira bien plus au désir de parler français qu'une vraie tentative de revitalisation.

Au lieu de souhaiter la bienvenue aux anglicismes, pourquoi ne pas plutôt travailler à l'acceptation d'une norme franco-québécoise? Avec ses t'es,  ses j'vas, ses dins, ses pas allable, ses bécosses? Mais aussi ses courriel et ses essuie-glace? Et leur donner l'aura que le titre de linguiste peut avoir?


La photo est publiée sous licence CC0 et provient de cette page web.

En passant, je ne dis ni bon matin, ni week-end...

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