mercredi 15 août 2018

Les technologies douces peuvent-elles sauver le monde?

J'ai récemment eu l'occasion de voir quelques épisodes de la série télé Nomade des mers, dans laquelle un bateau fait le tour du monde pour la promotion de ce que nos amis français appellent les low-tech: les technologies douces ou de bas niveau, c'est-à-dire le dessalement par énergie solaire (et avec des évaporateurs construits par un potier!), les germinations, etc. À chaque escale, l'équipage partait à la recherche de praticiens du low-tech pour apprendre et échanger, et repartait le plus souvent avec un nouveau gadget.

C'est lors d'une escale en Inde que je me suis posé la question qui fait le titre de cet article — et à laquelle les participants de l'émission répondent bien entendu par l'affirmative. Lors de cet escale, ils ont visité Auroville, ville expérimentale, écolo et spirituelle, fondée en 1968 par la compagne spirituelle dphilosophe indien Sri Aurobindo (et où bien entendu la langue commune est l'anglais...). Remarquons que cette ville est située à seulement 12° de l'équateur, qu'elle est entourée de forêts (seuls 40% de la surface est développée, et ces 40% comprennent des fermes) et que seuls 2300 personnes vivent sur 10 km² (alors que la densité de l'Inde est de 390 hab./km², et celle du monde dans son ensemble, si on tient compte de toutes les terres émergées, y compris les glaciers, les montagnes et les déserts, est d'environ 50 hab./km²). Ce devrait donc être l'endroit parfait pour l'usage de l'énergie solaire, non?


Le four solaire d'Aurovile
On y a donc construit un immense four solaire, relativement simple, mais ayant nécessité beaucoup de travail (il a fallu ajuster et coller chacun d'un très grand nombre de petits miroirs plans), qui fait chauffer l'eau pour la cuisine collective.

Or, même ça, ça n'est pas suffisant. Selon ce qui a été mentionné dans l'émission, cette cuisine doit aussi utiliser du mazout — évidemment importé, puisqu'Auroville n'a ni puits de pétrole ni raffinerie — pour faire chauffer une partie de l'eau chaude nécessaire en cuisine. Sans compter que cette cuisine n'est pas l'unique source de nourriture des Aurovilliens, et qu'on doit aussi y faire des grillades ou de la friture, sans oublier les besoins en éclairage (près de l'équateur, les journées ne sont jamais très longues).

Alors, on constate que même dans un environnement socialement et géographiquement très propice à l'énergie solaire, et dont les habitants ont un mode de vie extrêmement frugal, on n'arrive pas à se passer de pétrole. On rétorquera qu'avec plus d'investissements, financiers et humains, on arriverait à de meilleurs résultats. C'est vrai, mais les ressources nécessaires sont-elles réellement disponibles? Et avec la population qui continue à croitre, est-il vraiment réaliste de croire que le solaire et l'éolien peuvent tout résoudre? Même l'Allemagne, qui ne manque ni d'argent ni d'ingénieurs, et qui a fait le pari des énergies renouvelables, a dû se résoudre à rouvrir des centrales électriques au charbon pour satisfaire la demande alors qu'elle ferme peu à peu les centrales nucléaires. Alors, que faire? Espérer que la fusion va réellement démarrer?


Image utilisée avec la permissions du titulaire des droits (information).

lundi 6 août 2018

Faut-il réhabiliter les gras saturés?

Depuis quelques décennies, les gras, principalement les gras saturés, sont devenus l'ennemi public numéro un. Il suffit de dire qu'un aliment est riche en gras saturés pour que tout le monde s'entende sur le fait qu'il est nécessairement malsain — bien que souvent délicieux. Or, depuis les années 70, les États-Uniens mangent réellement moins de gras,  moins de gras saturés, et par conséquent plus de glucides. Pourquoi alors sont-ils de plus en plus gros, et pourquoi les maladies cardiovasculaires et le diabète sont-ils de plus en plus présents?

Je viens de terminer la lecture du livre The Big Fat Surprise: Why Butter, Meat and Cheese Belong in a Healthy Diet, de Nina Teicholz. Elle y fait l'historique de tout le débat et de toutes les recherches scientifiques entourant la question des gras alimentaires et de leur lien avec la santé, principalement les maladies cardiovasculaires, avec des conclusions surprenantes.

Le lien entre gras saturé et les crises cardiaques (maladie qu'aucun livre de médecine n'aurait décrit avant la fin du XIXe siècle) a été émis à titre d'hypothèse dans les années 50, suite à une étude comparant une vingtaine de pays. Bizarrement, en plus des doutes concernant la cueillette des données (demander à des gens ce qu'ils ont mangé le mois précédent, surtout quand il s'agit du Carême, donne parfois des résultats discutables), seuls sept pays ont été retenus dans la publication finale, les autres ne permettant pas de confirmer l'hypothèse défendue par le chercheur.

Néanmoins, ce chercheur ayant un sens politique aiguisé, il a pu faire accepter son hypothèse par l'association états-unienne pour les maladies du cœur (American Heart Association), par d'autres associations, puis par le ministère de l'Agriculture des États-Unis (qui est responsable des suggestions pour une alimentation saine), au point où toute demande de fonds de recherche s'écartant du dogme accepté se voyait refuser, et toute publication allant à son encontre se voyait bloquer l'accès aux revues prestigieuses, et ce pendant des décennies.

Et cet état de fait a continué même après que diverses études longitudinales portant sur des échantillons importants eurent échoué à démontrer le lien entre gras saturés et maladies cardiaques, sans que cela ait eu un impact sur la pensée dominante à ce sujet. Évidemment, si se contente de faire du cherry picking, on arrivera à prouver n'importe quoi...

Ce n'est qu'au cours des 10 ou 20 dernières années que des retours sur les données originelles de ces études, dont certaines ont été retrouvées dans des greniers, et des méta-analyses ont finalement commencé à jeter un doute sur la pertinence du bannissement des gras saturés, bien que cela peine à pénétrer la conscience collective.

Était-ce un complot? En fait, tout porte à penser que ce chercheur, M. Ancel Keys, et tous ceux qui ont défendu son hypothèse par la suite, étaient réellement convaincus d'avoir raison et d'œuvrer pour le bien public. Évidemment, ils étaient subventionnés par des sociétés qui y trouvaient un avantage commercial, mais c'était aussi bien souvent le cas pour leurs rivaux, dont des membres de l'Académie des sciences des États-Unis.

Une analyse impartiale des données disponibles amène plutôt à conclure que ce sont les sucres, voire les glucides en général, qui seraient le principal coupable de la détérioration de tant d'indicateurs de santé publique. Les êtres humains mangent en effet de la viande et des produits animaux depuis toujours, les fruits et les légumes occupant une place marginale et souvent saisonnière de l'alimentation, alors que le sucre n'est présent en quantité non-négligeable que depuis quelques siècles, et en quantité importante depuis environ un siècle. En fait, suite à un séjour parmi les Inuit, un anthropologue avait, au début du XXe, passé une année entière à ne manger que de la viande et des abats, sans qu'aucun des indicateurs de santé qu'on pouvait mesurer à l'époque n'eût été mis à mal. On rétorquera que ce n'est qu'un cas anecdotique, mais pas plus que celui de l'auto-cobaye du film Super Size Me...

Pendant ce temps, non seulement le gras est-il remplacé en grande partie par des glucides — il faut bien manger quelque chose — mais on l'a remplacé aussi, pour des questions de gout ou de texture, par des gras végétaux hydrolysés, les célèbres gras trans, dont Crisco* fut le premier porte-étendard, ainsi que par des gras insaturés qui non seulement prendraient la place, dans nos cellules, des gras saturés animaux dont elles sont en grande partie constituées, mais qui, une fois chauffés à des températures élevées, comme pour faire de la friture, se dégraderaient en composés hautement toxiques, comme des aldéhydes et le formaldéhyde.

Et avec toute la nouvelle mouvance vegan, on ne semble pas sortis du bois.

Un résumé du livre en 20 minutes et en anglais est disponible ici.

* Le Crisco, acronyme pour Crystallized Cotton-Seed Oil, était d'abord destiné à la fabrication de savon, jusqu'à ce que quelqu'un s'avisât qu'il semblait comestible. Un de ses grands avantages sur le beurre ou le lard était qu'il pouvait être utilisé sans restriction par les juifs religieux...