lundi 6 août 2018

Faut-il réhabiliter les gras saturés?

Depuis quelques décennies, les gras, principalement les gras saturés, sont devenus l'ennemi public numéro un. Il suffit de dire qu'un aliment est riche en gras saturés pour que tout le monde s'entende sur le fait qu'il est nécessairement malsain — bien que souvent délicieux. Or, depuis les années 70, les États-Uniens mangent réellement moins de gras,  moins de gras saturés, et par conséquent plus de glucides. Pourquoi alors sont-ils de plus en plus gros, et pourquoi les maladies cardiovasculaires et le diabète sont-ils de plus en plus présents?

Je viens de terminer la lecture du livre The Big Fat Surprise: Why Butter, Meat and Cheese Belong in a Healthy Diet, de Nina Teicholz. Elle y fait l'historique de tout le débat et de toutes les recherches scientifiques entourant la question des gras alimentaires et de leur lien avec la santé, principalement les maladies cardiovasculaires, avec des conclusions surprenantes.

Le lien entre gras saturé et les crises cardiaques (maladie qu'aucun livre de médecine n'aurait décrit avant la fin du XIXe siècle) a été émis à titre d'hypothèse dans les années 50, suite à une étude comparant une vingtaine de pays. Bizarrement, en plus des doutes concernant la cueillette des données (demander à des gens ce qu'ils ont mangé le mois précédent, surtout quand il s'agit du Carême, donne parfois des résultats discutables), seuls sept pays ont été retenus dans la publication finale, les autres ne permettant pas de confirmer l'hypothèse défendue par le chercheur.

Néanmoins, ce chercheur ayant un sens politique aiguisé, il a pu faire accepter son hypothèse par l'association états-unienne pour les maladies du cœur (American Heart Association), par d'autres associations, puis par le ministère de l'Agriculture des États-Unis (qui est responsable des suggestions pour une alimentation saine), au point où toute demande de fonds de recherche s'écartant du dogme accepté se voyait refuser, et toute publication allant à son encontre se voyait bloquer l'accès aux revues prestigieuses, et ce pendant des décennies.

Et cet état de fait a continué même après que diverses études longitudinales portant sur des échantillons importants eurent échoué à démontrer le lien entre gras saturés et maladies cardiaques, sans que cela ait eu un impact sur la pensée dominante à ce sujet. Évidemment, si se contente de faire du cherry picking, on arrivera à prouver n'importe quoi...

Ce n'est qu'au cours des 10 ou 20 dernières années que des retours sur les données originelles de ces études, dont certaines ont été retrouvées dans des greniers, et des méta-analyses ont finalement commencé à jeter un doute sur la pertinence du bannissement des gras saturés, bien que cela peine à pénétrer la conscience collective.

Était-ce un complot? En fait, tout porte à penser que ce chercheur, M. Ancel Keys, et tous ceux qui ont défendu son hypothèse par la suite, étaient réellement convaincus d'avoir raison et d'œuvrer pour le bien public. Évidemment, ils étaient subventionnés par des sociétés qui y trouvaient un avantage commercial, mais c'était aussi bien souvent le cas pour leurs rivaux, dont des membres de l'Académie des sciences des États-Unis.

Une analyse impartiale des données disponibles amène plutôt à conclure que ce sont les sucres, voire les glucides en général, qui seraient le principal coupable de la détérioration de tant d'indicateurs de santé publique. Les êtres humains mangent en effet de la viande et des produits animaux depuis toujours, les fruits et les légumes occupant une place marginale et souvent saisonnière de l'alimentation, alors que le sucre n'est présent en quantité non-négligeable que depuis quelques siècles, et en quantité importante depuis environ un siècle. En fait, suite à un séjour parmi les Inuit, un anthropologue avait, au début du XXe, passé une année entière à ne manger que de la viande et des abats, sans qu'aucun des indicateurs de santé qu'on pouvait mesurer à l'époque n'eût été mis à mal. On rétorquera que ce n'est qu'un cas anecdotique, mais pas plus que celui de l'auto-cobaye du film Super Size Me...

Pendant ce temps, non seulement le gras est-il remplacé en grande partie par des glucides — il faut bien manger quelque chose — mais on l'a remplacé aussi, pour des questions de gout ou de texture, par des gras végétaux hydrolysés, les célèbres gras trans, dont Crisco* fut le premier porte-étendard, ainsi que par des gras insaturés qui non seulement prendraient la place, dans nos cellules, des gras saturés animaux dont elles sont en grande partie constituées, mais qui, une fois chauffés à des températures élevées, comme pour faire de la friture, se dégraderaient en composés hautement toxiques, comme des aldéhydes et le formaldéhyde.

Et avec toute la nouvelle mouvance vegan, on ne semble pas sortis du bois.

Un résumé du livre en 20 minutes et en anglais est disponible ici.

* Le Crisco, acronyme pour Crystallized Cotton-Seed Oil, était d'abord destiné à la fabrication de savon, jusqu'à ce que quelqu'un s'avisât qu'il semblait comestible. Un de ses grands avantages sur le beurre ou le lard était qu'il pouvait être utilisé sans restriction par les juifs religieux...

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