mardi 30 mai 2017

Le Nouveau Régime, une critique mal fondée

Je viens de terminer la lecture du dernier opus de M. Bock-Côté, et j'ai toujours autant de difficulté à cerner le personnage. On dirait parfois qu'il prend davantage plaisir à tenter de provoquer ce qu'il qualifie de nouvelle pensée unique que de mettre de l'avant un projet socio-politique qui se tienne.

Je vais concentrer ma critique sur les premiers chapitres du livre, qui m'ont davantage parlé. En effet, je peux difficilement émettre une opinion sur la vision qu'a M. Bock-Côté des admirables dissidents, penseurs de droite qui, à l'exception de Raymond Aron, attendent encore une réhabilitation de la part de l'intelligentsia contemporaine. Et que je n'ai donc pas lus.

Là où je suis davantage l'auteur, c'est dans sa défense de la nation et de l'importance pour les immigrants de tenter de s'intégrer à leur pays d'accueil. Bien que teintée d'une peur sans doute exagérée de la menace musulmane, on doit reconnaitre que le citoyen lambda se sent un peu dépassé, non pas par le nombre d'immigrants dans les pays riches, mais bien plutôt par le discours que c'est à lui de s'adapter aux nouveaux arrivants. Pour les tenants du nouveau régime, «faciliter l'intégration des nouveaux arrivants par des mesures conciliatrices ne leur suffit pas; ils veulent inverser le devoir d'intégration en vidant la citoyenneté de sa charge historique pour mieux réduire la communauté politique à un ensemble de principes abstraits généralement associés à la “philosophie des droits”.» (p. 31)

Dans cette optique, la division traditionnelle entre gauche et droite ne tient plus, puisque tant la gauche (style Québec solidaire) que la droite (style Parti libéral) ne voit dans l'intégration des immigrants qu'une question économique: «Ici encore, la droite néolibérale et la gauche multiculturaliste s'entendent: pour la droite néolibérale, il suffit de travailler dans un pays pour y être intégré. On y revient: l'individu n'est plus qu'un agent économique. Pour la gauche multiculturaliste, on dira toujours que l'intégration est d'abord économique et on relativisera considérablement la question culturelle. [...] La gauche multiculturaliste se demande rarement si l'intégration culturelle n'est pas à bien des égards la condition de l'intégration économique.» (p. 91)

Étant donné l'importance des questions d'immigration et d'intégration dans nos sociétés, il est selon moi étrange que l'on n'accorde pas plus d'intérêt à ces questions. Peut-être que M. Bock-Côté a raison, finalement: les débats concernant l'immigration sont fermés dans notre société, et tous ceux qui osent soulever la question culturelle sont souvent accusés d'être des réactionnaires. «À la privatisation de la religion répondra alors la privatisation des mœurs, de la culture et de l'identité nationale, au point même où, dans un pays comme le Canada de 1982, on a cru pouvoir privatiser et individualiser jusqu'à la langue. La culture ne devrait plus fournir le matériau de la communauté politique: au moins, elle sera résiduelle et n'existera plus qu'à la manière d'un folklore que les individus auront la responsabilité de perpétuer, s'ils le désirent.» (p. 103)

Là où je lâche M. Bock-Côté, c'est quand il s'attaque à l'identité sexuelle et au droit à l'euthanasie. J'arriverais même à le suivre du côté du catholicisme, à la condition que l'on ne considère notre religion traditionnelle que dans ses aspects historiques et culturels. Après tout, la plupart d'entre nous sont des athées de culture catholique, non? 

Pour ce qui est de l'identité sexuelle, il s'élève contre les constructions socio-biologiques que sont les sexes (ou les genres), plaidant que, de tout temps, elles ont structuré les sociétés, même si leur contenu pouvait varier. Il est prêt à «accommoder les marginaux» souffrant de «troubles de l'identité sexuelle», mais pas au prix «de faire exploser les repères indispensables à l'immense majorité des gens.»  (p. 124). Selon lui, la théorie du genre est la dernière étape de la déconstruction de l'être humain incarné dans l'histoire et dans la nature. À cette lecture, je me demande bien ce qu'il dirait si l'un de ses enfants était homosexuel ou transsexuel: peut-être qu'à ce moment, il se rendrait compte de l'importance de théoriser et de donner un sens à la vie de ces marginaux à accueillir dans une charité toute chrétienne; après tout, pourquoi ne pas plutôt tenter de les guérir si leur situation n'a pas de sens historique ou biologique?

De plus, n'est-ce pas ces définitions essentialistes de ce que sont un homme et une femme, ces «repères indispensables à l'immense majorité des gens», qui sont à la base de la persécution des personnes LGBT, allant des remarques déplacées à des agressions physiques? Mettre l'accent sur la marginalité de ces personnes ne peut qu'envenimer leurs conditions de vie, selon moi.

Quant à la question de l'aide médicale à mourir, il y voit aussi l'exacerbation du «culte de l'autonomie», «allant jusqu'à flirter avec le fantasme de l'auto-engendrement» (p. 141), donc de la non-inscription dans une histoire, une société, un peuple, une culture, qui seuls donnent un sens à la vie. Mais là aussi, un étrange échappatoire charitable: «On peut comprendre le désir de certains d'en fini avec une vie qu'ils ne peuvent tout simplement pus supporter. [...] Mais ne faudrait-il pas convenir, alors, que certaines choses, dans notre société, doivent se faire dans l'ombre, dans une zone grise, à l'insu de la loi? N'est-ce pas la seule manière de conserver au suicide assisté son statu d'exception radicale et d'éviter de le transformer en droit?» (p. 144). Autrement dit, pour mourir dignement, il faut connaitre un médecin prêt à encourir la prison à perpétuité? Mais comment un penseur peut-il en arriver à une conclusion si aberrante? À force de vouloir ménager la chèvre de l'enracinement historique et le chou des droits individuelles, il en vient à truffer son système d'exceptions et même à encourager la perpétration de ce qu'il vient de définir comme un crime?