dimanche 28 avril 2019

L'Insidieuse Invasion

Je suis en train de terminer le fantastique mais décourageant ouvrage de Michel Rondeau, L'Insidieuse Invasion, observations sur l'anglicisation. Cet essai reprend tout à fait ma position sur l'anglicisation de la langue française au Québec. Cette anglicisation est certes explicable — 250 ans d'infériorisation, ça laisse des traces — mais n'est pas plus acceptable pour autant, ni irrémédiable. Par contre, les centaines d'exemples que M. Rondeau donne d'emprunts, de calques ou de faux-amis tournent le tournis et laissent découragé devant l'ampleur du travail à faire. On a du pain sur la planche! D'autant que personne ne semble s'en soucier...

Pourquoi n'enseignerait-on pas ces anglicismes sous forme de jeu, au secondaire? Pas de prêchi-prêcha, mais un genre de chasse au trésor? Ça pourrait être un premier pas, non?

En fait, je rêve souvent d'avoir le pouvoir de punir les animateurs d'émissions de télé et de radio. Ça doit être dû à mon travail!

Un extrait, qui concerne une expression que me hérisse autant que lui.


« Les formules de politesse que nous employons au quotidien témoignent elles aussi de l'emprise grandissante de l'anglo-américain. On ne se contente plus de se saluer tout bonnement d'un bonjour! on préfère maintenant commencer la journée avec bon matin!
De tous les anglicismes récents, c'est sans doute celui qui a triomphé éhontément avec le plus d'aisance et s'est répandu le plus rapidement, et ce,  sans pratiquement rencontrer de résistance, sinon peut-être chez les plus de cinquante ans. C'est aussi celui qui m'horripile le plus, d'autant qu'il est généralement lancé avec les meilleures intentions du monde. Employé à tire-larigot autant à la télé qu'à la radio, ce bon matin témoigne ineffablement de notre à-plat-ventrisme le plus crasse face à l'anglais. Les Anglos disent good morning, pourquoi ne le pourrions-nous pas aussi? Quelle curieuse tentation! Bonjour ne nous suffit pas? Il faut singer l'anglais jusque-là. Pourquoi les Italiens et les Espagnols ne nous emboîteraient-ils pas le pas et ne troqueraient-ils pas leurs buon giorno et buenos dias pour buon mattino et buena mañana
Nous sommes tellement à la remorque de l'anglo-américain qu'à nos yeux, ou plutôt à nos oreilles — j'entends Elvis Gratton —, « ça sonne pas aussi ben que good morning. Puis ça veut pas dire la même chose. » Pourtant ça veut dire la même hostie d'affaire! Le soleil est levé, il fait jour, bonjour! Ça ne veut pas dire bonne journée!
[...]
Je tiens par ailleurs un certain fabricant de pain tranché pour responsable de la banalisation de cette formule honnie. Comment résister, quand on est habitué à le voir écrit en beaux gros caractères non seulement sur les emballages à l'épicerie ou sur la table du petit déjeuner, mais aussi en plus grand format sur les camions de livraison. »