vendredi 27 octobre 2017

Vive la Catalogne!

Bonne chance à la Catalogne! En espérant que les choses ne s'envenimeront pas trop et que l'Espagne entendra raison avant de soumettre par la force une partie de ses citoyens  au nom d'une vision légaliste de la démocratie.

lundi 24 juillet 2017

La langue affranchie me met en colère,



Je viens de terminer la lecture de La Langue affranchie, par Anne-Marie Beaudoin-Bégin, et je dirai, en un mot, que ce livre est une caricature.

L'auteure, linguiste, s'élève contre la soi-disant réglementation du français par des autorités langagières, soit les auteurs de dictionnaires et de manuels scolaires, et l'Office de la langue français, via sa Banque de terminologie, qui s'arrogeraient le droit de déterminer ce qui est du bon français et ce qui ne l'est pas, ce qui aurait donné au francophone québécois moyen un complexe face à la manière dont il parle, complexe qui l'amènerait même, pour certains d'entre eux — d'entre nous — à adopter l'anglais, langue réputée plus souple. Même si je soutiens, comme Mme Beaudoin-Bégin, que le français québécois est une variante linguistique — voire même plusieurs variantes linguistiques, puisqu'elle possède plusieurs niveaux, comme on disait autrefois — qui mérite d'être reconnue et défendue, je trouve que la manière dont elle s'y prend pour la défendre est une caricature. En fait, l'auteure caricature son adversaire pour mieux le démolir. C'est ce qu'on appelle le sophisme de l'homme de paille.

Selon sa description, le puriste — appelons-le ainsi — refuse le français québécois parce qu'il croit en l'autorité du Dictionnaire tout-puissant. Mais seulement quand ça l'arrange. Par exemple, le puriste lèverait le nez sur bon matin mais utiliserait week-end (p. 25). Il serait incapable de reconnaitre que, si le français emprunte de nos jours en masse à l'anglais, il a, en d'autres temps, emprunté à l'italien, provoquant l'ire des puristes de l'époque, alors que, de nos jours, plus personne ne ressent des mots comme banque, soldat ou balcon comme des emprunts (chapitre 5). Enfin, il serait incapable d'apprécier l'usage de l'anglais dans le discours quotidien. Donnant un exemple tiré d'un roman, écrit dans une langue farcie de mots anglais que je n'ai jamais rencontrée dans la vraie vie, même si j'ai deux enfants dans la vingtaine, elle conclut en écrivant: «On remarquera, évidemment, que ce texte est (magnifiquement) écrit au registre familier, et que l'utilisation des expressions anglaises lui donne une saveur particulière. Plusieurs jugeront probablement ce texte négativement. Ils en auront bien le droit évidemment,  mais ce faisant, ils ne percevront pas le procédé stylistique.» (p. 82)
Autrement dit, si vous n'êtes pas d'accord avec moi et avec les anglicismes, c'est que vous êtes incompétent ou bouché.

Mon opinion

Personnellement, je ne crois pas du tout que le français québécois soit jugé négativement. On dirait que Mme Beaudoin-Bégin a trop écouté la télévision de Radio-Canada des années 60, si cela était possible. Au contraire, on laisse tant les animateurs de radio que les élèves du primaire parler un peu comme ils le veulent, et l'on s'étonne ensuite que, comme ceux qui ont appris l'anglais dans la rue et à la télé, ils soient incapables de pondre un texte dans un registre autre que très familier (p. 96). Mais où auraient-ils pu apprendre le registre soutenu? Leur situation est sans doute similaire à celles des Suisses alémaniques, qui apprennent à écrire en allemand standard mais qui parlent un dialecte etrès différent.

D'ailleurs, on peut comprendre qu'au XIXe siècles, les lettrés du Québec aient voulu raccommoder le parler d'ici avec celui de la France. Vouloir encourager la différence aurait sans doute créé moins de complexes chez le peuple, mais aurait été politiquement catastrophique. Les Québécois auraient été dans la situation des Afrikaners d'Afrique du Sud, dont la langue ancestrale était le néerlandais, mais qui en ont tellement divergé qu'ils parlent maintenant une langue à part, l'afrikaans, et qu'ils ne comprennent plus, pour la plupart, le néerlandais. Imaginez-vous quel poids politique , quel prestige, aurait face à l'anglais une langue — appelons-la le canayen — parlée uniquement ici? Ç'aurait été notre fin.

Je crois aussi que Mme Beaudoin-Bégin a beaucoup trop confiance en la loi qu'elle appelle improprement 101. Selon elle, le sort du français au Québec est garanti à jamais, pourrait-on croire. Mais une loi, ça se change, et pas nécessairement dans le sens de la rendre plus mordante, comme elle semble le souhaiter à quelques reprises. Si assez de Québécois veulent envoyer leurs enfants à l'école anglaise et se débarrasser du français, ce souhait se concrétisera bientôt dans une loi. Mais il est interdit de dire cela sur sa page Facebook, par exemple. Tous ceux qui avancent cette opinion se font rapidement bloquer...

Et le français écrit?

Évidemment, le puriste tel que vu par Anne-Marie Beaudoin-Bégin est convaincu que le Québécois moyen non seulement parle mal, mais surtout qu'il ne sait pas écrire. Et il est épouvanté de le voir étendre son ignorance sur les réseaux sociaux. Le monde était bien mieux, selon lui, quand seuls les finissants du cours classique avaient le droit de manier la plume. À en croire notre linguiste, ce qui agacerait les puristes de l'écrit, ce sont des choses comme la réduction de tu es en t'es, les négations sans ne ou l'usage du subjonctif après après que (qui ne devrait pas être condamné uniquement à l'écrit, d'ailleurs, après qu'on y a réfléchi). Elle délire carrément. On peut lire tous les jours des statuts Facebook qu'on a peine à comprendre, même quand on les lit tout haut. Bizarrement, pour une linguiste qui désire le retour de l'enseignement du latin à l'école, de manière à mieux enseigner les mécanismes de la langue, l'absence d'accord (les gens vienne) ou la célèbre confusion ez/é/er ne devraient pas inquiéter. Avant de réintroduire le latin, on pourrait au moins faire de l'analyse de phrase, et ça urge!


Finalement

Quand j'entends des jeunes Québécois passer à l'anglais, non plus seulement avec des immigrants (ce qui est déjà désolant, soit dit en passant), mais entre eux; quand je les entends faire de l'alternance de code clairement non par choix, mais par méconnaissance des termes français; quand les jeunes écoutent leur musique, regardent leurs films et leurs séries Netflix en anglais, quand même les statuts Facebook de médias écrits, comme le Huffington Post Québec, contiennent presque à tout coup de grossières erreurs d'orthographe ou de syntaxe (et je parle pas d'écrire alternatives au lieu d'options), je crois qu'on peut s'inquiéter. Quand on accepte béatement les emprunts de l'anglais au lieu de créer, comme les anglophones (sans oublier le fantastique travail lexicologique des Islandais), des nouveaux mots pour les nouvelles réalités, à partir du français — car, oui, n'en déplaise à Mme Beaudoin-Bégin, on a le droit de créer des mots en français — on contribue à faire du français québécois une langue folklorique, qu'on ne parlera bientôt plus que parce qu'on y est obligé ou avec ses grands-parents. Étrangement, j'ai peur que la voie affranchie préconisée par Mme Beaudoin-Bégin nuira bien plus au désir de parler français qu'une vraie tentative de revitalisation.

Au lieu de souhaiter la bienvenue aux anglicismes, pourquoi ne pas plutôt travailler à l'acceptation d'une norme franco-québécoise? Avec ses t'es,  ses j'vas, ses dins, ses pas allable, ses bécosses? Mais aussi ses courriel et ses essuie-glace? Et leur donner l'aura que le titre de linguiste peut avoir?


La photo est publiée sous licence CC0 et provient de cette page web.

En passant, je ne dis ni bon matin, ni week-end...

mardi 11 juillet 2017

L'esclavage au Québec, vraiment?

Le marché aux esclaves, de Gustave Boulanger (vers 1882)
À la suite d'une discussion avec une inconnue québécoise d'origine africaine sur Facebook, j'ai décidé de lire Deux siècles d'esclavage au Québec, livre de Marcel Trudel. Si cette interlocutrice voulait me convaincre que mes ancêtres étaient esclavagistes, eh bien, c'est encore un échec.

Évidemment, je ne mets pas en doute qu'il y ait eu juridiquement des esclaves au Québec, tant durant le Régime français qu'après la Conquête. Mais il faut s'enlever de la tête l'image que l'on peut avoir retenue de l'esclavage aux États-Unis ou dans les colonies sucrières françaises, où des Noirs s'échinent sous le fouet entre les plants de coton ou les cannes à sucre. Comme le reconnait M. Trudel lui-même: «Comme il était pratiqué dans toutes les colonies européennes, catholiques ou protestantes, on ne voit pas pourquoi le Québec aurait échappé à l'usage international de réduire en servitude les Noirs et les Indigènes. Toutefois, l'esclavage n'existe ici que sur une toute petite échelle.» (p.323) Et cette reconnaissance est d'autant plus importante que M. Trudel tend à toujours pécher du côté de l'exagération de la présence d'esclave sur nos terres.

Marcel Trudel a d'abord commis un Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires. Il a recensé près de 4200 esclaves sur un peu plus de deux siècles (l'esclavage a été aboli en 1824 dans l'empire britannique). Mais il faut bien comprendre un fait: pour lui, un esclave amérindien donné en cadeau à un coureur des bois par les Amérindiens avec lesquels il échange, rapporté sur les rives du Saint-Laurent et alors immédiatement affranchi et adopté par ce coureur des bois, eh bien, c'est un de NOS esclaves. Ou bien, il infère l'esclavage: «Il serait étonnant que les 9,7% autres n'aient pas connu la servitude: ils ont été tirés de nations [amérindiennes] très éloignées ou vivent dans des familles esclavagistes.» (p.77) Les esclaves noirs amenés avec les Loyalistes, eh bien, ce sont aussi NOS esclaves. Une esclave qui est présente chez le notaire lors de sa vente et qui donne son consentement, c'est aussi une esclave. Le Noir libre qui accepte de se vendre (jusqu'à la mort du propriétaire) pour épouser une femme esclave et vivre avec elle, c'est aussi un esclave... volontaire. Et que dire de l'esclave dont parle Philippe-Aubert de Gaspé, qui refuse l'affranchissement et qui considère avoir le droit de continuer à vivre dans la maison qui l'a vue grandir. Il me semble dans une société où un apprenti était obligé de rester auprès de son maître et où un serviteur pouvait avoir un contrat à long terme impossible à rompre, sans oublier l'institution des donnés, la distinction est faible entre esclaves et certains hommes libres. À moins de tenir compte de la race. Mais ne serait-ce pas raciste de le faire?


Les conditions de vie

Évidemment, les conditions de vie n'étaient faciles pour personne. Les esclaves mouraient jeunes, mais pas vraiment plus que les hommes et femmes libres. Néanmoins, ils pouvaient être témoins à des mariages et à des enterrements, pouvaient ester en justice, étaient jugés par une cour régulière  et pouvaient porter une condamnation en appel (un appel qui a fortement adouci, par exemple, la peine de Marie-Josèphe-Angélique, condamnée à mort pour incendie criminel, en 1734), et en cas de justice criminelle, étaient souvent jugés moins sévèrement que les Canadiens, comme on disait alors. Certains esclaves amérindiens ont même été engagés, avec la permission de leur maître, comme pagayeurs pour des voyages de traite, et ont pu garder une partie de leurs gages! Faudrait presque rédéfinir le terme esclavage...

De plus, en plus d'être souvent adoptés ou épousés par leurs maîtres (et même par leurs maîtresses, dans certains cas), ils étaient presque toujours baptisés (parfois juste avant leur mort, mais on peut soupçonner dans ces cas une réticence au baptême), et, dans le cadre de cette cérémonie, le parrain, qui est un peu leur père, était très souvent... leur maître. En tout cas chez les Français. Chez les Anglais, le parrain était le plus souvent un autre Noir, ce qui illustre, selon moi, une moins grande mixité sociale chez nos conquérants que chez nous. Et les funérailles étaient les mêmes pour les Noirs, les Amérindiens et les Blancs. Mixité sociale, car la plupart des esclaves vivaient en ville, avec leurs maîtres. Pas de grandes plantations, pas d'importation de Noirs (avant la Conquête, les Noirs vivant au Québec étaient presque exclusivement des prisonniers de guerre, parfois capturés par nos alliés amérindiens), malgré les rêves de grandeur coloniale de certains notables. Les esclaves étaient ouvriers ou domestiques.

Et où trouvait-on des esclaves?

Bizarrement, à lire rapidement Marcel Trudel, on croirait que seuls les Français et les Anglais ont eu des esclaves au Québec. Mais on oublierait alors un très grand bassin d'esclaves. En effet, les Amérindiens se faisaient la guerre depuis toujours et faisaient de leurs prisonniers des esclaves. Ce ne sont pas les Blancs qui leur ont enseigné cette pratique. En fait, au début de la colonie, comme je l'ai mentionné, tous les esclaves étaient en fait des cadeaux faits par nos alliés, cadeaux difficiles à refuser, on le concevra. C'est pourquoi il s'agissait souvent de membres de nations fort éloignées, au-delà des Grands Lacs, jusqu'au point où le nom Panis a fini par signifier esclave amérindien. Évidemment, il n'existe aucun document pouvant aider à dénombrer le nombre d'esclaves amérindiens que nos alliés des Premières Nations possédaient (certains ont même capturé ou acheté des Noirs pour les garder en esclavage!), mais on peut imaginer — après tout, Marcel Trudel fait souvent de tels bonds conceptuels — qu'ils étaient au moins aussi nombreux que ceux que les Blancs pouvaient posséder (et souvent affranchir). Mais il semble que parler des pratiques esclavagistes des Premières Nations ou encore des Arabes soit presque tabou de nos jours.

Le livre de M. Trudel illustre selon moi un travers que l'on retrouve trop souvent dans les sciences sociales, ici l'histoire. Au lieu de chercher à infirmer son hypothèse, ou du moins de garder une attitude critique à son égard, on cherche au contraire tous les faits tendant à la confirmer, quitte à les interpréter de manière parfois laxiste. Bien qu'il ait existé, l'esclavage n'a jamais été important au Québec, et ce n'est pas 350 pages de redites et d'inférence qui vont me convaincre du contraire.


lundi 5 juin 2017

Ne renonçons à rien, sauf à la clarté?

Bien que Jean-René Dufort, alias Infoman, ait été capable de prévoir à  80% d'exactitude le contenu du rapport de la tournée Faut qu'on s'parle, j'ai tenu à le lire. Autant les positions de Québec solidaire me tombent parfois sur les nerfs (surtout son réquisitoire contre les Québécois blancs souverainistes, presque par définition des êtres mesquins et enfermés dans une vision passéiste du Québec), autant ce livre m'a rappelé un livre qui m'avait enthousiasmé dans ma jeunesse, Le Défi écologiste, de Michel Jurdant. Tout de même étrange quand on sait que l'un des principaux animateurs de cette tournée n'est nul autre que Gabriel Nadeau-Dubois, le nouveau messie de QS!

Résumé: en travaillant ensemble, les Québécois pourront résoudre tous les problèmes et trouver enfin la prospérité. Rien à dire sur les sacrifices qu'un vrai développement soutenable nécessitera sans le moindre doute. Que des plaintes envers le système politique qui serait pourri. Qu'une vision un peu populiste concernant une cassure entre le peuple et l'élite. La plus amusante de ces plaintes provient, selon moi, des habitants d'une petite ville mono-industrielle qui avaient perdu confiance en la démocratie quand leur employeur quasi-exculsif a fermé ses portes. Et on souligne bien: en la démocratie. D'après moi, ils n'avaient jamais fait confiance en la démocratie, se contentant d'élire des administrations municipales qui promettaient les taxes les plus basses possible. Au contraire, ils avaient mis toute leur confiance dans une compagnie privée, pas en la démocratie, C'est la compagnie privée qui les a fourrés, pas la démocratie. Et s'ils voulaient mettre sur pied des entreprises alternatives pour préparer l'avenir, personne ne le leur interdisait. Évidemment, perdre le salaire qu'une minière peut offrir...

Vous voyez ce qui me chicote dans ce genre d'ouvrage, j'espère. Ça respire les bons sentiments, ça fait des jugements à l'emporte-pièce, sans jamais chercher à proposer des projets concrets, enracinés dans la densité du réel. En théorie, tout est facile, disait celui qui avait décidé de déménager dans ce pays merveilleux, la Théorie. C'est quand on commence à vouloir faire quelque chose que le trouble commence, parce qu'il y a des choix à faire, des décisions à prendre, des gens à qui déplaire, et pas seulement des membres de l'élite... Le peuple n'est pas homogène...

De plus, d'entrée de jeu, les auteurs reconnaissent n'avoir rencontré personne ayant une tendance politique viscéralement opposée à la leur. Où sont les chefs d'entreprise, les immigrants refusant de s'intégrer au Québec, les tenants des baisses d'impôts (plus de 30% des Québécois disent vouloir voter CAQÉFL*)? Ces gens veulent-ils vraiment mettre plus d'argent en éducation, par exemple, ou bien pour le transport en commun?


La grande oubliée: la question nationale

J'ai été autant amusé qu'exaspéré de voir comment les auteurs éludaient la question nationale. Tout le long de l'ouvrage, on parle du Québec, de son territoire, de sa culture (de manière très belle, je dois reconnaitre: «L'identité est un héritage dont il faut faire usage, elle se crée dans une matrice institutionnelle, elle évolue au contact des autres, elle se nourrit de métissages; on mesure sa force à sa confiance en soi, son caractère à sa capacité à porter sereinement en elle les divisions» [p. 71]: rappelons comment QS accepte les divisions de la société québécoise...), des limites que pose le fédéralisme canadien à leurs projets. On parle des problèmes des indépendantistes (à la troisième personne, comme si personne ne l'était parmi les auteurs — pas de nous ici, comme partout ailleurs) entretiennent avec les peuples autochtones, ici aussi sans proposer de solution. La seule autre allusion à l'indépendance du Québec provient d'un auteur issu de la diversité, et il est là aussi négatif et à la troisième personne: «Lorsque vient le temps de parler souveraineté, ma réalité correspond à celle de très nombreuses personnes issues de la diversité: nous observons le virage identitaire de nombreux indépendantistes avec la crainte qu'il mène à une diminution des droits et liberté de certains.» Partout, on s'implique et on agit; ici, on observe. Passivement. 

Désolant.



* Du nom complet de ce parti: Coalition Avenir Québec - Équipe François Legault.

mardi 30 mai 2017

Le Nouveau Régime, une critique mal fondée

Je viens de terminer la lecture du dernier opus de M. Bock-Côté, et j'ai toujours autant de difficulté à cerner le personnage. On dirait parfois qu'il prend davantage plaisir à tenter de provoquer ce qu'il qualifie de nouvelle pensée unique que de mettre de l'avant un projet socio-politique qui se tienne.

Je vais concentrer ma critique sur les premiers chapitres du livre, qui m'ont davantage parlé. En effet, je peux difficilement émettre une opinion sur la vision qu'a M. Bock-Côté des admirables dissidents, penseurs de droite qui, à l'exception de Raymond Aron, attendent encore une réhabilitation de la part de l'intelligentsia contemporaine. Et que je n'ai donc pas lus.

Là où je suis davantage l'auteur, c'est dans sa défense de la nation et de l'importance pour les immigrants de tenter de s'intégrer à leur pays d'accueil. Bien que teintée d'une peur sans doute exagérée de la menace musulmane, on doit reconnaitre que le citoyen lambda se sent un peu dépassé, non pas par le nombre d'immigrants dans les pays riches, mais bien plutôt par le discours que c'est à lui de s'adapter aux nouveaux arrivants. Pour les tenants du nouveau régime, «faciliter l'intégration des nouveaux arrivants par des mesures conciliatrices ne leur suffit pas; ils veulent inverser le devoir d'intégration en vidant la citoyenneté de sa charge historique pour mieux réduire la communauté politique à un ensemble de principes abstraits généralement associés à la “philosophie des droits”.» (p. 31)

Dans cette optique, la division traditionnelle entre gauche et droite ne tient plus, puisque tant la gauche (style Québec solidaire) que la droite (style Parti libéral) ne voit dans l'intégration des immigrants qu'une question économique: «Ici encore, la droite néolibérale et la gauche multiculturaliste s'entendent: pour la droite néolibérale, il suffit de travailler dans un pays pour y être intégré. On y revient: l'individu n'est plus qu'un agent économique. Pour la gauche multiculturaliste, on dira toujours que l'intégration est d'abord économique et on relativisera considérablement la question culturelle. [...] La gauche multiculturaliste se demande rarement si l'intégration culturelle n'est pas à bien des égards la condition de l'intégration économique.» (p. 91)

Étant donné l'importance des questions d'immigration et d'intégration dans nos sociétés, il est selon moi étrange que l'on n'accorde pas plus d'intérêt à ces questions. Peut-être que M. Bock-Côté a raison, finalement: les débats concernant l'immigration sont fermés dans notre société, et tous ceux qui osent soulever la question culturelle sont souvent accusés d'être des réactionnaires. «À la privatisation de la religion répondra alors la privatisation des mœurs, de la culture et de l'identité nationale, au point même où, dans un pays comme le Canada de 1982, on a cru pouvoir privatiser et individualiser jusqu'à la langue. La culture ne devrait plus fournir le matériau de la communauté politique: au moins, elle sera résiduelle et n'existera plus qu'à la manière d'un folklore que les individus auront la responsabilité de perpétuer, s'ils le désirent.» (p. 103)

Là où je lâche M. Bock-Côté, c'est quand il s'attaque à l'identité sexuelle et au droit à l'euthanasie. J'arriverais même à le suivre du côté du catholicisme, à la condition que l'on ne considère notre religion traditionnelle que dans ses aspects historiques et culturels. Après tout, la plupart d'entre nous sont des athées de culture catholique, non? 

Pour ce qui est de l'identité sexuelle, il s'élève contre les constructions socio-biologiques que sont les sexes (ou les genres), plaidant que, de tout temps, elles ont structuré les sociétés, même si leur contenu pouvait varier. Il est prêt à «accommoder les marginaux» souffrant de «troubles de l'identité sexuelle», mais pas au prix «de faire exploser les repères indispensables à l'immense majorité des gens.»  (p. 124). Selon lui, la théorie du genre est la dernière étape de la déconstruction de l'être humain incarné dans l'histoire et dans la nature. À cette lecture, je me demande bien ce qu'il dirait si l'un de ses enfants était homosexuel ou transsexuel: peut-être qu'à ce moment, il se rendrait compte de l'importance de théoriser et de donner un sens à la vie de ces marginaux à accueillir dans une charité toute chrétienne; après tout, pourquoi ne pas plutôt tenter de les guérir si leur situation n'a pas de sens historique ou biologique?

De plus, n'est-ce pas ces définitions essentialistes de ce que sont un homme et une femme, ces «repères indispensables à l'immense majorité des gens», qui sont à la base de la persécution des personnes LGBT, allant des remarques déplacées à des agressions physiques? Mettre l'accent sur la marginalité de ces personnes ne peut qu'envenimer leurs conditions de vie, selon moi.

Quant à la question de l'aide médicale à mourir, il y voit aussi l'exacerbation du «culte de l'autonomie», «allant jusqu'à flirter avec le fantasme de l'auto-engendrement» (p. 141), donc de la non-inscription dans une histoire, une société, un peuple, une culture, qui seuls donnent un sens à la vie. Mais là aussi, un étrange échappatoire charitable: «On peut comprendre le désir de certains d'en fini avec une vie qu'ils ne peuvent tout simplement pus supporter. [...] Mais ne faudrait-il pas convenir, alors, que certaines choses, dans notre société, doivent se faire dans l'ombre, dans une zone grise, à l'insu de la loi? N'est-ce pas la seule manière de conserver au suicide assisté son statu d'exception radicale et d'éviter de le transformer en droit?» (p. 144). Autrement dit, pour mourir dignement, il faut connaitre un médecin prêt à encourir la prison à perpétuité? Mais comment un penseur peut-il en arriver à une conclusion si aberrante? À force de vouloir ménager la chèvre de l'enracinement historique et le chou des droits individuelles, il en vient à truffer son système d'exceptions et même à encourager la perpétration de ce qu'il vient de définir comme un crime?

dimanche 30 avril 2017

Le revenu de citoyenneté: pour ou contre?

Ces derniers jours, j'ai lu la plaquette portant sur Le Droit au revenu de citoyenneté, par Pierre Dubuc, de L'Aut' Journal (Éditions du Renouveau québécois). J'espérais en apprendre davantage sur cette idée bizarrement partagée par des penseurs de droite comme de gauche. Malheureusement, M. Dubuc est resté dans les généralités, ce qui ne permet d'aller nulle part.

Appelée revenu de citoyenneté, allocation universelle ou revenu de base, le RC (pour faire court) consiste à verser à tous les citoyens (ou habitants?) d'un pays une certaine somme mensuelle, de manière inconditionnelle, somme qui remplacerait les programmes sociaux, ou en tout cas certains d'entre eux. Le principe reste simple, mais les détails sont diablement importants. 

Il ne faut pas confondre l'allocation universelle avec le revenu minimum garanti, ce que le préfacier, Gabriel Sainte-Marie, fait allègement. Le RMG, en fait, c'est le bien-être social (ou ce que devrait être le bien-être social). C'est un revenu versé à ceux qui gagnent moins qu'une certaine somme. Pour le recevoir, il faut pouvoir montrer qu'on gagne peu ou qu'on ne gagne rien, remplir des papiers, se désinscrire si l'on trouve du travail assez payant, et ainsi de suite. On hésite souvent à faire la correspondance entre le BES et le RMG, surtout à cause de la suspicion entretenue envers les assistés sociaux et de la faiblesse des sommes versées, mais rien ne dit que ce serait différent avec un autre nom.

D'ailleurs, lors du Printemps érable, on rappelait que si on appliquait la justification de la hausse projetée des frais de scolarité — le rattrapage de l'indexation à l'inflation — aux prestations de bien-être social, il faudrait... tripler ces dernières.

Alors, pour ou contre ?

En fait, je n'en sais strictement rien. Les principales justifications du RC sont la disparition des emplois à plein temps à cause de la robotisation de plus en plus d'emplois — comme si les bons emplois avaient déjà été la norme et que le développement technologique datait d'hier — la baisse des couts liés à la gestion de nombreux programmes compliqués, l'élimination du cout à reprendre un emploi et la disparition de la stigmatisation envers les assistés. Les principales peurs sont celle d'entretenir l'oisiveté et la difficulté à financer le cout du programme (certains parlent même de créer les sommes nécessaires!). Selon moi, le RC nécessite de repenser la fiscalité de fond en comble. Il faudrait être imposé dès le premier dollar gagné.

En fait, ce qui oppose surtout la gauche et la droite, c'est le montant des sommes versées. La droite, toujours soucieuse d'encourager les gens à travailler, préconise une somme assez faible, à peine de quoi survivre. De plus, on pense souvent éliminer le salaire minimum, de manière à laisser le marché décider. Après tout, on comptera plus uniquement sur son salaire pour vivre, non?

Les gauchistes refusent ces compromis. Ils veulent un RC suffisant pour vivre ET un salaire minimum: pas question de faire de cadeaux au patronat, n'est-ce pas? Évidemment, même le patronat est conscient que, si les salaires sont trop bas, on ne pourra même pas financer le faible RC qu'ils préconisent...

Et quels programmes remplacer?

C'est l'autre question à 10 000 $ par mois. Évidemment, on pense au bien-être social et au supplément de revenu garanti. Aux prestations familiales (puisque les enfants et ados recevraient aussi le RC, bien qu'on propose souvent une prestation plus faible dans leur cas, et versée à leurs parents). Sans doute aussi à l'assurance-chômage. Peut-être même à la pension de vieillesse. Ainsi qu'à l'aide financière aux étudiants (les prêts et bourses).

Le cas des programmes capitalisés et des assurances est plus problématique. Doit-on éliminer les rentes de la Régie des rentes du Québec? Que faire des pensions de retraite d'employeurs et des REÉR? De l'assurance-automobile ou de celle de la CSST? Que faire aussi des programmes ponctuels, comme l'aide au logement ou l'aide pour les personnes handicapées? En France, on avait calculé que même le RC le plus élevé envisagé serait insuffisant pour remplacer les aides offertes à certaines familles particulièrement dans le besoin. Serait-ce vraiment un progrès, alors?

En fait, dans une vraie optique de simplification et de responsabilisation individuelle, on pourrait même cesser de subventionner les frais de scolarité universitaire ou, pourquoi pas, collégiaux? Et les CPE pourraient bien avoir à facturer leurs vrais couts, puisque l'argent irait directement aux enfants, ou, plus précisément, à leurs parents. C'est la défunte ADQ qui serait contente, non?

Au Canada, la situation est plus compliquée. L'Ontario a parait-il un projet-pilote, mais les sommes versées seront-elles imposées par le gouvernement fédéral? Veut-on vraiment envoyer 15% des sommes de ce programme à Ottawa? Comment arrimer les pensions de vieillesse et le SRG (fédéraux), la Régie des Rentes (nationale au Québec, mais fédérale ailleurs), l'assurance-emploi (constitutionnellement fédérale), le bien-être social (provincial), le financement des études (national au Québec et fédéral ailleurs)?

De plus, le Canada étant un pays d'immigration, on doit poser la questions: les résidents permanents ou demandeurs de statut de réfugiés auraient-ils droit au RC? Vous imaginez ce qu'on dirait de ces gens venus de pays pauvres partager ce pactole?

Conclusion

Souvent présentée comme le programme permettant le plus grand progrès social, le RC a bien des zones d'ombre et ce, sans même avoir à imaginer comment les gens se comporteraient. Créerait-il encore plus de pauvreté? La rendrait-il acceptable? Permettrait-il, au contraire, à tous ces assistés de travailler à mi-temps, de se perfectionner, de partir de petites entreprises légalement (comme c'est arrivé dans des villages africains ayant mis sur pied des programmes similaires)? Mais avant tout, il faut savoir de quoi on parle exactement, ce qu'on fait assez rarement, malheureusement.


Un autre billet  sur ce sujet.

lundi 2 janvier 2017

Comment inclure?

Quelques commentaires sur le livre de Jean Dorion Inclure, Quelle laïcité pour le Québec?

Jean Dorion, militant pour l'indépendance du Québec depuis avant ma naissance, est devenu, par je ne sais plus trop quel miracle, mon ami Facebook. Au fil des échanges, le thème de la Charte des valeurs québécoises et du foulard islamique a été abordé sur son fil (ce qu'on appelait un mur, auparavant, si je saisis bien). Pour mieux connaitre son point de vue, il m'a invité à lire son essai dont le titre apparait plus haut.

Je n'ai pas d'opinion arrêtée sur la Charte des valeurs québécoises, sinon que son titre est très mauvais et que tant ses opposants que ses partisans m'indisposaient souvent. À tout prendre, j'aurais préféré une loi établissant la laïcité de l'État québécois, en commençant par le retrait du crucifix du Salon bleu. Après tout, les symboles sont importants, n'est-ce pas? Je suis extrêmement sensible à l'argument de M. Dorion selon lequel toute interdiction de vêtements ou d'accessoires clairement identifiés à une religion sur la rue, à l'école ou dans la fonction publique par les souverainistes québécois donnerait à notre mouvement une très mauvaise presse, alors que nous avons, c'est évident, besoin de l'appui de nos voisins pour réussir l'indépendance. Si un jour on y arrive...

Je comprends aussi que l'intégration ou l'assimilation ne se fait pas en criant ciseaux et que la religion fait partie importante de la personnalité et de l'identité de bien des gens. Finalement, je ne sais que trop bien que le refus de certains comportements religieux est souvent moins fondé par l'appui à la laïcité que par le refus de la différence.

Néanmoins, j'ai parfois peur. Peur du retour de la religion dans la vie publique. J'ai peur que l'acceptation des célèbres accommodements raisonnables (qui sont demandés le plus souvent par des chrétiens fondamentalistes, dit-on) fasse régresser la société vers une société cloisonnée entre groupes ethno-religieux, dans laquelle l'appartenance à un groupe finira par déterminer les droits et obligations de chacun (et surtout de chacune), un peu comme c'est le cas en Inde, où les hindous et les musulmans n'ont pas le même Code civil.

De manière amusante, quand M. Dorion pose ce que devraient être, selon lui, les balises aux accommodements raisonnables, il me semble qu'en 2017, ces limitations le feraient dans bien des milieux passer pour un laïcard islamophobe. Le droit à la vie, par exemple pour les transfusions de sang pour les mineurs, est constamment rediscuté devant les tribunaux. Le programme d'enseignement est rarement laïque dans les institutions privées réservées à un groupe donné — il suffit de penser aux cas récemment rendus publics des écoles pour enfants de parents hassidiques, ou de la poursuite intentée contre la yeshiva de Boisbriand.

Mais surtout, M. Dorion met l'accent sur la nécessité de demander les dérogations. Je suis loin d'être certain que le fait que, par exemple, chaque musulman ait à demander personnellement le droit de prier, par exemple, soit réaliste. Dans une administration, quand une telle décision est prise, elle devient habituellement un droit acquis, si l'on peut dire. Et il y a fort à parier que si un musulman n'allait pas prier alors que c'est permis, il pourrait arriver que l'on exerce sur lui des pressions plus ou moins discrètes. Après tout, bien des musulmanes, après avoir clamé haut et fort qu'elles portaient le hidjab par choix, se sont aperçues, après qu'elles eurent, finalement, décidé de ne plus le porter, que bien de leurs amis ou de leurs parents se sont mis à exprimer leur  mécontentement face à cette décision.

Ensuite, quand le hidjab devient acceptable et normal, comment interdire le niqab (qui est bel et bien porté à Montréal)? Où et comment tracer la ligne?

Finalement, pour ce qui est des couts, n'est-ce pas une des raisons qui poussent dorénavant bien des employeurs privés à y penser à deux fois avant d'engager un musulman?

Cas anecdotiques

1. M. Dorion écrit: «L'existence de périodes de bain non mixtes dans une piscine publique de mon arrondissement ne m'a jamais scandalisé, étant donné qu'il s'agit d'une période de deux heures par semaine.» Je crois savoir de quelle piscine il s'agit, et c'est la piscine que je fréquentais avec mes enfants. Ces périodes m'ont toujours contraint à aller me baigner avec eux beaucoup moins que je ne l'aurais voulu. Durant la semaine précédant Noël 2016 (c'est le seul horaire dont je dispose), il y avait quatre heures non mixtes, et douze heures de bain libre pour tous. On m'enlève 25% du temps que j'aurais pu passer avec mes enfants (qui sont grands maintenant, mais le principe est là). Et là encore, une jeune fille qui voudrait aller au bain libre pourra bien souvent être rappelée à l'ordre, puisqu'il existe des périodes réservées aux filles...

2. Alors que mes enfants étaient, heureusement, déjà d'âge scolaire, de nombreuses garderies en milieu familial ont ouvert leurs portes dans mon voisinage. Je n'ai pas effectué un inventaire exhaustifs des choix offerts, mais à voir les pubs sur les poteaux, il semblait n'y avoir que des garderies anglophones et d'autres, francophones, mais n'offrant que des plats halals... Drôle de choix, non?


L'image provient d'une recherche Google pour laquelle j'ai demandé des images pouvant être réutilisées...